La ligne jaune franchie pour Haiti ?
12 janvier 2010. Le séisme à Haiti déclenche une avalanche de réactions et de promesses de dons en France. Des émissions de télévision sont consacrées à l'événement, les journaux sollicitent la générosité des Français. Chaque média s'associe à une organisation. Europe 1 à la Croix-Rouge française, Paris Match à Première Urgence, RTL à Médecins du monde puis la Fondation de France, tout comme M6, Le Figaro, Le Monde ou encore Radio France et France Télévisions. Le groupe audiovisuel public a essuyé de vives critiques suite à ce partenariat qui est loin de faire l'unanimité. Il pose plusieurs problèmes : remise en cause de la déontologie journalistique, du choix de l'organisme et du rôle des médias en temps de crise.
Les autres ONG ont souffert en termes financiers de ce partenariat. Début février, la Croix-Rouge ne comptait que 11,5 millions d'Euros pour Haiti contre 112 millions récoltés en 2004 pour le Tsunami, alors que la Fondation de France avait déjà récolté plus de 24 millions d'euros.
Françoise Jeanson, ancienne présidente de Médecins du Monde s'insurge : "Je trouve cela inadmissible ! De quel droit les médias choisissent l’organisation à laquelle les gens doivent donner ! En plus, la Fondation de France n’a quasiment aucune expérience dans l’humanitaire. Pourquoi serait-elle plus pertinente que les ONG ou que la population elle-même ? C’est juste un intermédiaire de plus au final, qui n’est ni légitime, ni indépendant".
Pourquoi la Fondation de France ?
Passé la question déontologique, le choix qu'a porté France Télévisions sur la Fondation de France a beaucoup surpris. La Fondation de France n'est pas une ONG. C'est un organisme privé et indépendant qui collecte et redistribue des fonds pour soutenir des projets dans des domaines divers.
L'indépendance de l'organisme fait débat. Selon Françoise Jeanson, ancienne présidente de Médecins du Monde il ne l'est pas : "six ministères sont représentés au conseil d’administration. Alors qu’on ne vienne pas me dire que cet organisme est indépendant de l’Etat".
Pascal Dauvin compare cette polémique à celle lancée par Pierre Bergé en décembre 2009 sur le Téléthon : "Ca disqualifie les autres associations", regrette-t-il.
Un problème d'éthique
Pour Pascal Dauvin, sociologue et auteur de La communication des ONG, ce partenariat pose surtout un "problème éthique". Le rôle du journaliste est d'informer, pas de collecter des fonds.
Rony Brauman, président de MSF entre 1982 et 1994 et grande figure de l'humanitaire s'est montré très virulent sur le sujet. Outre une interview dans l'Express où il dénonce les dangers d'un trop grand rapprochement entre médias et ONG, il intervient également dans l'émission de France 5 Médias le magazine le 17 janvier 2010. « Je trouve ça très choquant et très pervers car cela fait perdre la distance aux journalistes par rapport à l'objet de leur reportage ». Samuel Hanryon, membre de MSF précise que l'ONG n'effectue jamais de partenariat avec des journaux. "Le problème, c’est quand les journalistes cessent d’informer et commencent à mobiliser. Là, on est dans autre chose."
Christophe Ayad, journaliste à Libération est beaucoup plus nuancé : "Attention à ne pas faire d'amalgame et de confondre médias et journalisme. Sur France 2, il y a 90% de divertissement, et 10% de journalisme. Ce n'est pas choquant que la chaîne soit partenaire de quelque chose, si ça ne se transforme pas en information caritative. Le problème c'est quand ça envahit le travail des journalistes".
RSF et le guide du parfait journaliste
Le travail des journalistes, justement. En janvier 2010, RSF publie un communiqué intitulé "Les médias ont un rôle à tenir en cas de catastrophe humanitaire majeure". Outre la mobilisation des opinions et l'appel à la générosité, il préconise aux médias de devenir "acteurs à part entière", en participant à la "localisation de survivants ou à l'évaluation les plus urgents de populations sinistrées". Est-ce vraiment le rôle d'un média ?
Depuis la fin du XIXe siècle et le développement considérable des moyens d'informations, les médias ont toujours procédé à des appels de don, et se sont appliqués à offrir une bonne image des humanitaires. Pour se donner une image plus humaine, diront certains. Les médias s'appuient sur les ONG pour redorer une crédibilité mise à mal ces derniers temps. Samuel Hanryon est plus tranché : chacun doit faire son boulot", estime-t-il.
Jean-Jacques Louarn est journaliste à RFI et fondateur de la revue en ligne Grotius, consacrée aux Médias et à l'Humanitaire. Même si ce n'est pas leur première motivation, les médias ont un rôle à jouer : "s’il ne met pas ses moyens à disposition des victimes, comment serait-il perçu ? Ne lui reprocherait-on pas de ne rien faire, de ne faire qu’informer en somme ?". La question reste ouverte.